Église verte

Voici le deuxième article d’une série qui reprendra les interventions de la formation « Gestion des terres agricoles » du 20 novembre 2023. Le diaporama support est ici.

Article précédent – Les nouveaux modèles agricoles

Comment installer de nouveaux acteurs de la transition agro-écologique ?

Sarah Foxx est salariée de la fondation Terre de liens, en tant que chargée de mission du foncier des institutions religieuses (https://terredeliens.org/). Cette structure existe depuis vingt ans et a pour objectif la préservation des terres agricoles en qualité (sols vivants, agriculture biologique) et en quantité (lutter contre la spéculation foncière et l’accaparement). Son mot d’ordre : “faire de la terre un bien commun”. Sarah Foxx est par ailleurs engagée à titre personnel et bénévole au sein d’Église verte en Alsace où elle réside.

Voici quelques chiffres révélateurs du point de bascule dans lequel se trouve le monde agricole. Aujourd’hui, la taille moyenne des exploitations est de 69 hectares contre 24 hectares à la fin des années 80. Ainsi, en une quarantaine d’années, la surface des fermes a presque triplé. Par ailleurs, le prix moyen de l’hectare agricole a doublé en l’espace de vingt ans. L’augmentation de la taille des exploitations combinée à l’augmentation du prix du foncier font qu’aujourd’hui les fermes sont très chères.

Ambassadeurs Eglise verte

Concernant le nombre d’actifs agricoles, il est en diminution nette puisque plus de 300 000 emplois agricoles ont été perdus en trente ans. De plus, dans les dix prochaines années, la moitié des paysans en place partira à la retraite. Quelle sera la suite ? Qui va reprendre et sur quels modèles agricoles va se faire la transition ? On estime que d’ici 2030, environ cinq millions d’hectares vont changer de main. L’enjeu est énorme quant à l’orientation qui sera donnée à ces terres. Même s’il y a 14 000 installations agricoles par an, cela reste très faible par rapport au nombre de départs à la retraite et crée un déséquilibre important.

Dernier point : 55 000 hectares de terres sont artificialisés chaque année ; soit cinq fois la surface de Paris de terres nourricières qui se retrouvent sous le béton et ce rythme s’accélère de plus en plus.

A ces chiffres assez préoccupants s’ajoutent le fait que les terres sont sujettes à des spéculations. Cette ressource limitée attire la convoitise et devient une monnaie d’échanges comme une autre, alors même que c’est la base de notre alimentation.

C’est l’un des enjeux de cette transition : comment lutter contre cette spéculation foncière et préserver la vocation agricole et nourricière des terres qui sont de plus en plus inaccessibles, notamment pour ceux qui ne sont pas issus de familles agricoles, les NIMA. Ces personnes, qui représentent 60% des candidats à l’installation, n’ont pas le réseau, le prêt des banques ni le soutien familial pour les aider. Pourtant, ce sont souvent des personnes qui ont un vrai désir de cultiver la terre, de nourrir les hommes et de prendre soin de la terre.

La préoccupation de Terre de liens est de rendre possible les installations des personnes issues de cette nouvelle génération, garante d’une agriculture paysanne de qualité, respectueuse des sols et de la biodiversité. “Les terres agricoles sont au carrefour d’usages et d’intérêts multiples, parfois contradictoires, et font donc l’objet de choix de société” (extrait du Guide de la propriété foncière agricole responsable éditée par Terre de liens).

Un des pivots de la transition agricole est donc les “proprié-terres”, ceux qui possèdent ces terres. Plusieurs leviers d’actions sont possibles pour les propriétaires soucieux d’une gestion responsable de leur biens fonciers :

  • En choisissant l’acquéreur ou le locataire de leurs terres.
  • En contribuant à en définir les conditions d’usage.
  • En privilégiant certains types de projets et d’agriculture responsables socialement et écologiquement.
  • En rendant possible une agriculture nourricière et locale (contrairement à l’exploitation des terres pour nourrir le bétail ou produire du biocarburant).
  • En favorisant l’installation d’une nouvelle génération de paysans et de paysannes.
  • En participant à la préservation des ressources naturelles, l’eau notamment et de la biodiversité.
  • En veillant à un meilleur équilibre ville-campagne, en créant du lien entre producteurs et consommateurs.

Zoom sur les institutions religieuses

En premier lieu, on peut souligner que la trajectoire du monde agricole et celle des institutions religieuses sont sur une pente un peu similaire. Les institutions et communautés religieuses sont des propriétaires fonciers historiques avec des chiffres qui parfois donnent le vertige.

Au niveau mondial, l’Église catholique romaine possède environ 8% des terres. Au niveau national, les chiffres sont un petit peu plus imprécis mais ceux qui émergent montrent qu’il existe des disparités régionales importantes. Voilà un premier constat auquel s’ajoute celui d’une crise vocationnelle et donc d’une difficulté de renouvellement des membres de ces communautés et par conséquent aussi d’un vieillissement. Aussi, les questionnements sur l’avenir de ces communautés et de leur patrimoine sont-ils légitimes. Par ailleurs, ces communautés peuvent être la cible de promoteurs immobiliers dont les projets ne sont pas toujours en accord avec leurs valeurs ou leurs charismes.

Au regard de ces constats, il faut souligner la prise de conscience, au sein des communautés religieuses, de l’urgence écologique et du rôle important qu’en tant que propriétaires, elles peuvent jouer dans cette transition agro-écologique. Elles ont aussi conscience du moment opportun (le kairos) que représente ce point de bascule qui se vit à la fois dans le monde agricole et dans le monde religieux, et qui peuvent leur permettre de se lancer dans des projets collectifs qui valorisent à la fois les terres agricoles et le bâti. Ces choix demandent une certaine réflexion et un certain courage qui sont autant de témoignages d’espérance dans cette situation de crise. Alors que peut-on faire ? Que peut faire concrètement un propriétaire terrien, une institution religieuse par exemple ?

Il y a trois points qui sont plus ou moins engageants, mais la chose la plus importante est de s’informer sur son bien. Pour s’informer, on peut faire un état des lieux des terres possédées, notamment avec Géoportail, un outil facile d’accès qui permet de rechercher ses terres et de retrouver les différentes natures du sol, de les comparer au plan local d’urbanisme et surtout, de voir si elles sont toujours agricoles ou non. Il est également possible de faire une demande à la matrice cadastrale des impôts pour avoir toute la cartographie des terres.

Un autre état des lieux intéressant en tant que propriétaire consiste à regarder l’état d’exploitation des terrains : des baux ont-ils été signés avec des agriculteurs ? Quels types, pour combien de temps, à quelle échéance ? On peut aussi mener une enquête plus sociologique concernant les fermiers, les agriculteurs en place, etc.

Enfin, se renseigner et regarder autour de soi : y a-t-il aussi un réseau composé d’acteurs du monde agricole, d’acteurs du monde écologique dont on pourrait s’entourer pour mener à bien un projet ?

Le deuxième point est celui de l’engagement en se mettant en lien avec des structures expertes. Il y a Terre de liens bien sûr, la Ligue de protection des oiseaux, le réseau InPACT, les CIVAM. Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural, les CIVAM sont des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui travaillent ensemble à la transition agro-écologique, pour des campagnes vivantes. Il y en a encore beaucoup d’autres. Ces structures accompagnent des propriétaires et les entourent pour créer une “communauté de projet” autour de la préservation des terres agricoles et de la biodiversité.

Favoriser l’installation de paysans, plutôt que de privilégier l’agrandissement est aussi une façon de s’engager. Ainsi quand quelqu’un part à la retraite, il est important de vérifier s’il n’y a pas un porteur de projet qui souhaiterait s’installer. En exploitation directe, l’adoption de pratiques agricoles vertueuses et durables est encore un autre moyen.

Enfin, le dernier niveau d’engagement est celui de la projection vers l’avenir. C’est un travail d’anticipation qui mérite qu’on s’y intéresse dès aujourd’hui et qui passe par une réflexion globale sur l’orientation que l’on veut donner à ses terres. Veut-on maintenir une dimension nourricière ? Comment intégrer une dimension sociale, écologique ? Comment  le faire en cohérence avec les valeurs qui sont celles de la communauté ?

Enfin, dernier  levier d’action possible, l’ORE, Obligation Réelle Environnementale, qui sera présentée plus en détail par la suite. Pour information, la Fondation Terre de Liens  est habilitée à mettre en place des ORE sur ses terres en tant que structure engagée pour la protection de l’environnement. Elle peut également se porter co-contractante de projets d’ORE sur des terres qui respectent les critères de mise en place.

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Retranscription de l’intervention de Sarah Foxx lors de la formation « Gestion des terres agricoles » du 20 novembre 2023

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