Église verte

Le samedi 11 février a eu lieu une journée d’études œcuménique au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris, sur le thème « La voix des Églises à l’épreuve de la crise écologique« . Après une table ronde la veille à l’institut de théologie orthodoxe Saint-Serge (Paris), la journée d’études du samedi a compté 8 interventions. Retrouvez un résumé des quatre dernières dans cet article, les quatre premières sont à retrouver ici.

5ème intervention : Amphilochios Miltos, archimandrite, prêtre à Volos

Une paroisse verte dans l’Église de Grèce : vocation et réalités

La foi chrétienne est vie et pas qu’idée : c’est vrai aussi pour l’écologie. Volos est une ville de Grèce centrale, dans laquelle est né le projet de former une paroisse verte, premier projet du type en Grèce.

Amphilochios débute son intervention par la présentation de la vision eucharistique du monde chez les orthodoxes. Les racines de la crise écologique sont spirituelles et morales. La rupture du lien entre l’homme et le reste de la création est une aberration au regard du dessein de Dieu. L’appât du matériel constitue un appauvrissement spirituel. La propriété de la Terre est au Seigneur, pas à l’être humain (« Au Seigneur la Terre et tout ce qu’elle contient », Ps 24). Ce lien entre l’homme et le reste de la création s’exprime dans l’eucharistie, action de grâce au Créateur : ce pain que « nous le tenons de toi, nous te l’offrons ». La liturgie orthodoxe est cosmique : élever, bénir, transfigurer le cosmos.

Pour résoudre un problème écologique dans la tradition chrétienne, il s’agit de faire pénitence et pratiquer l’ascèse comme antidote au consumérisme, au sentiment de possession, de rétablir la communion, avec Dieu et avec les autres êtres humains. St Jean Chrysostome recommande aux fidèles de donner aux pauvres l’argent économisé pendant le Carême : il y a une justice sociale produite par cette attitude eucharistique et ascétique.

L’archimandrite passe ensuite au programme « paroisse verte », qui a été inauguré en juin 2021, en coopération avec le centre de recherches orthodoxe de Volos et WWF Grèce. Qu’est-ce qu’une paroisse verte ? Elle fonctionne d’une manière qui protège l’environnement, ses membres sont conscients des problèmes et solutions. Il n’a pas été nécessaire de chercher les volontaires, les 6 paroissiens du comité sont venus eux-mêmes. Des panneaux solaires ont été déployés sur les bâtiments de l’église. Dans l’idée de développer une communauté énergétique au niveau du diocèse, un parc photovoltaïque sera construit, le terrain a été trouvé. Notons également le passage à un éclairage plus économe (LED), ainsi que l’isolation de l’église. Les autres bâtiments doivent devenir autonomes en énergie à terme : la maison des pauvres et l’école maternelle seront construits comme bâtiments verts.

La deuxième initiative concerne les conférences mensuelles sur le thème « Église et crise climatique ». Ont été évoqués le symbolisme biblique des arbres, les problèmes environnementaux, la vie quotidienne responsable… Ces conférences seront publiées à l’occasion de la venue du patriarche Bartholomée en juin 2023, le livre lui sera offert.

Une visite paroissiale d’un monastère, dont les moniales pratiquent l’agriculture bio, a été organisée. Le comité a produit un guide de recyclage et organisé la projection du documentaire « Demain » dans un cinéma de Volos. Un projet en cours concerne la traduction en grec une série de vidéos de l’archidiocèse d’Amérique « Comment rendre votre paroisse verte ». Une opération de plantation d’arbres est prévue avec la ville et en partenariat avec les scouts (sur la place de l’église). L’enseignement paroissial (catéchèse enfants et adultes) intègre dimension écologique. Un projet de légumes bios cultivés dans la cour de l’église a été lancé, pour qu’ils soient utilisés dans les repas des pauvres (90 pers/jour). Ont également eu lieu des conférences, en partenariat avec le WWF Grèce « Bonnes pratiques de l’Église orthodoxe », ainsi qu’un concours pour élire le meilleur article lycéen sur la crise climatique.

Parmi les difficultés figure la bureaucratie, mais le plus difficile à ses yeux est de changer les esprits des paroissiens. Certains fidèles trouvent suspect que l’église s’intéresse à l’écologie. Leur indifférence a été source de déception : pour le documentaire Demain, peu sont venus. Amphilochios note que le but n’est pas de se substituer à ce qui se fait déjà, le comité a envie de travailler avec les associations écologistes de la ville. Il y a une volonté d’apprendre des autres, croyants comme non-croyants.

Enfin, il faut avoir l’humilité d’écouter le patriarche : devenir de bons intendants de la Création au lieu de la détruire. Le patriarche donne la direction : il est crucial de penser globalement et d’agir localement, d’attirer son attention vers le voisinage immédiat. Le voyage le plus difficile est de la tête au cœur puis à la main. Les vieilles habitudes ont la vie dure mais elles doivent mourir : pour transformer notre intelligence, nous sommes appelés à la métanoïa, à changer radicalement notre manière de penser. Amphilochios de Patmos (mort en 1970) demandait à ses fidèles de planter des arbres en signe de pénitence : résultat, l’île de Patmos est mieux couverte par la forêt que d’autres îles grecques.

La paroisse verte de Volos fait ses premiers pas, l’ambition à terme est que cette initiative évoluera vers un réseau de paroisses vertes dans tous les Balkans.

https://greenorthodoxyvolos.wordpress.com/

6ème intervention : Anna van den Kerchove, professeure historienne à l’IPT

Une écologie chrétienne dans l’Antiquité ? Quel monde pour quels chrétiens et chrétiennes ?

On ne trouve pas les termes oikos et logos accolés dans l’Antiquité. Peut-on quand même trouver des concepts approchants, notamment chez Clément d’Alexandrie (Père de l’Église au tournant du 2e-3e siècle) ?

Quelles attitudes préconise Clément concernant la relation entre l’humain et le monde ? Le monde n’est pas du tout le même : il y a des cataclysmes bien sûr, mais pas de crise systémique. Même si certaines industries (minières notamment) pouvaient causer des pollutions, elles ne sont pas généralisées et les êtres humains sont plutôt entourés d’espaces sauvages qu’ils ne les font disparaître. Certains auteurs sont tout de même conscients des impacts de leurs activités, notamment sur les plantes. Par exemple, le silphium, plante à tout faire de l’époque est notée comme quasiment disparue par Strabon (attribuée à des raids barbares) et Pline (attribuée à la transformation des terres en pâturages). Cependant, ils le notent sans s’en émouvoir.

Clément d’Alexandrie a produit deux écrits majeurs : Le Protreptique, qui incite à la conversion et Le Pédagogue, qui incite les nouveaux chrétiens à adopter un comportement vraiment chrétien dans leur vie quotidienne. Il explique dans Le Protreptique l’ordonnancement du monde en un cosmos harmonieux par le Christ. Cela est lié à l’idée d’une loi de la nature qu’il faut respecter. De cela découle que chaque être animé ou chose a sa place, qui ne doit pas être modifiée.

Clément durcit le propos d’Aristote : l’être humain est un animal et peut tomber très bas dans la hiérarchie du créé, même plus bas que les pierres, mais avec des efforts et en suivant le Christ, il peut revenir à la plus haute place. Que signifie « un monde pour l’être humain » ? Les deux sont en harmonie par le Christ, pour célébrer Dieu. Clément écrit « alors comment oses-tu vivre délicatement dans les biens du Seigneur et en oublier le maître ? » Clément indique que le locataire (humain) doit payer le propriétaire (Dieu) avec sa foi, sa reconnaissance, sa docilité (même s’il n’a pas besoin d’être payé).

Le Christ ne fait pas tout : le chrétien doit adopter une certaine attitude vis-à-vis du monde. Dans Le Pédagogue, il critique ceux qui font venir leurs produits terrestres (principalement des produits animaux), maritimes et de l’air – oiseaux- de toute la Méditerranée pour leur gloutonnerie « ces gens semblent tout simplement vouloir ramasser dans leur filet le monde entier afin d’en jouir » (une proto-critique de la mondialisation de l’alimentation ?).

Il critique également les femmes qui se parent de bijoux et pierres précieuses et justifient leur action ainsi : « ce que Dieu a mis devant nos yeux, pourquoi ne pas en jouir ? C’est à ma disposition, pourquoi ne pas en jouir ? Et pourquoi donc ces choses-là sont-elles nées, sinon pour nous ? ». Il s’étonne et juge sévèrement « il faut être né dans une ignorance absolue de la volonté de Dieu pour parler ainsi ». Il note que Dieu a fourni les choses nécessaires (eau, air), choses qui sont visibles et que les choses cachées (sous terre, au fond des mers) ne sont pas nécessaire (et caché exprès). Ces chrétiennes sont curieuses « de ce qu’il ne faut pas chercher » : elles ne cherchent pas Dieu dans le ciel déployé ET en plus de rechercher des choses cachées, acceptent que les condamnés à mort creusent pour les pierres précieuses. On retrouve là une critique contemporaine : on peut penser aux enfants mineurs dans les mines de métaux utilisés dans les équipements informatiques, aux Ouïghours forcés de travailler dans des usines de vêtements…

Clément indique que Dieu lui-même a partagé en premier (sa Parole) et qu’il a fait tout pour tous : toutes choses sont donc en commun et les riches ne doivent pas en vouloir plus que les autres. Dire « c’est à ma disposition, pourquoi n’en jouirai-je pas ? » n’est pas une attitude juste et chrétienne. Il critique la pratique des couronnes de fleurs, qui ne permettent ni de jouir de la vue et du parfum des fleurs et incite plutôt à s’attarder dans de belles prairies au printemps, pour profiter de la vue et l’odeur et de ne pas couper les fleurs, qui flétriraient. Il s’oppose aux positions gnostiques. Pour lui, trop utiliser le monde, vouloir le dominer revient à en être asservi et à tomber très bas dans l’ordre de la Création. Il invite à « envoyer promener au loin tout le superflu », et de limiter la recherche des biens indispensables à ceux qu’on peut facilement se procurer (des biens non cachés).

7ème intervention : Julija Naett Vidovic, professeure à l’institut Saint Serge

Écologie et spiritualité : un brin d’herbe patristique

Voir dans le christianisme la racine de la crise écologique comporte une part de contre-sens et d’attributions étrangères à la pensée chrétienne. Nous allons le voir avec un exemple orthodoxe. Saint Maxime le Confesseur (7e siècle, byzantin) a approfondi la présence de Dieu dans la Création et sa relation à l’ensemble des créatures.

Les premiers mots du credo de Nicée-Constantinophe sont bel et bien « je crois en Dieu créateur du Ciel et de la Terre ». L’univers selon la théologie patristique est créé radicalement neuf, ex nihilo, par un Dieu créateur. Ce n’est pas la copie d’un monde divin. Le lieu métaphysique de la Création devient l’amour sacrificiel du Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. Les pères font souvent apparaître le caractère « pneumatique » des êtres créés (le souffle). Chacun témoigne à son niveau et à sa manière d’une certaine relation à Dieu.

La Création est entièrement traversée de « logoi » (êtres créés / paroles de la Création). Le principe et la fin de tout être sont en Dieu. Dans la pensée de Maxime le Confesseur, Dieu sème dans chacune des espèces qui emplissent la Terre un logos, de la sagesse et des modes de conduites bien ordonnés afin que toutes les créatures privées de paroles et l’homme puissent le proclamer ainsi. Saint Payissios du Mont Athos considérait les êtres vivants et inanimés humbles comme des icônes, que l’on peut embrasser et vénérer, car elles témoignent de la grâce de Dieu. Attention, il faut bien sûr ne pas vénérer la matière même.

Dans la théologie orthodoxe de la Création, on retrouve une densité propre du créé en même temps qu’une transparence du créé, c’est-à-dire la présence des énergies divines à la racine. L’homme doit voir dans la Création des signes et symboles manifestant la présence de Dieu. L’homme est appelé à scruter les logoi des êtres créés pour rendre grâce à Dieu, appelé à être un jardinier pour récolter les logoi et un prêtre pour les donner à Dieu (cf Olivier Clément, Le Christ, terre du vivant).

8ème intervention : Michel Fédou, professeur au Centre Sèvres à Paris

Écologie et liturgie : la « maison commune » et la « maison de Dieu »

La célébration de l’eucharistie dans la messe catholique romaine symbolise le lien de Dieu avec le monde créé. Le Credo se réfère au père « créateur du ciel et de la terre ». Dans l’offertoire, la prière du célébrant mentionne le pain et le vin, reçus de sa bonté divine (premier), fruits de la terre et du travail des homes : le don ne devient pleinement accompli qu’avec le sol et le travail humain.

Les prières commencent et finissent souvent de façon englobante, en mentionnant tout l’espace, tous les vivants, le visible et l’invisible. Dans les prières eucharistiques, on trouve des mentions explicites du monde créé. La seigneurie de l’homme sur la Création (4e prière eucharistique) n’a de sens qu’au service du Créateur, ce qui exclut de fait la violence envers sa Création.

D’autres éléments sont présents dans les sacrements : l’eau et la lumière dans le baptême. D’autres sacrements peuvent ne dépendre que d’une parole (pénitence – mais possibilité du dépôt d’une bougie – et mariage – mais d’autres rites secondaires ont lieu). Les signes sacrés « sacramenta » sont reconnus dans leur valeur authentiquement religieuse. Par exemple les rogations, le rite des Cendres et le lavement des pieds le jeudi saint, la bénédiction d’une eau de source, d’une fontaine, la bénédiction du pain (distribué après les offrandes – pas les hosties). Ces pratiques ont été investies de superstition, il est vrai. Les prières de bénédiction insistent donc plus sur la bénédiction de l’activité humaine qui va avec, plutôt que sur l’objet même.

Les questions nouvelles émergées de la crise écologique doivent permettre d’être plus attentifs à la richesse des sacrements (surtout l’eucharistie) par rapport à la Création, de ne pas les considérer isolément mais en relation avec le monde. L’eucharistie est une action de grâce des baptisés, qui redonnent au Créateur ce qu’il a donné.

Réponses œcuméniques sur la liturgie

Orthodoxe (Adrian Craciun, Institut de Théologie orthodoxe Saint Serge) : il évoque la théophanie et la bénédiction des eaux, et rappelle la théologie du don (Dieu a donné l’ensemble de la Création). Le salut est promis de la même façon à l’être humain qu’à l’ensemble de la Création.

Protestante (Nicolas Cochand, professeur de théologie pratique à l’IPT) : partage un questionnement de pratiques. Le protestant actuel est trop riche et trop pauvre pour regarder dans les textes liturgiques la place de la Création, car il y a beaucoup trop de textes dans lesquels puiser et pas beaucoup de textes normés. Pour Calvin, ses liturgies commencent toujours par l’invocation de Dieu qui a fait le ciel et la terre. Dans les textes contemporains, on voit apparaître une préoccupation pour le monde créé, la terre que nous habitons, qui nous nourrit… Les luthériens ont quelques formules, notamment pour la Cène (épis de blé et grains de raisin), les réformés pas vraiment.

En théologie pratique, on mesure l’écart entre les normes et les pratiques : on devrait faire une grande enquête de terrain pour voir les textes utilisés, qui font référence à la situation actuelle de l’homme dans la Création. De façon dogmatique, on peut s’intéresser à la constitution de l’EPUdF, créée en 2013, qui fait référence à la problématique écologique (« Dieu se soucie de toutes ses créatures. Il nous appelle, avec d’autres artisans de justice et de paix, à entendre les détresses et à combattre les fléaux de toutes sortes : […] surexploitation de la planète, refus de toute limite »).

De façon liturgique, la réalité visible de l’église apparaît dans l’Assemblée des fidèles (il y a Église là où la Parole est fidèlement prêchée et où les sacrements -baptême, Cène- fidèlement administrés et reçus – constitution EPUdF). La liturgie doit aussi permettre la pleine participation des fidèles et être l’expression des envies et préoccupations des personnes qui se présentent devant Dieu : aujourd’hui, la crise écologique en fait partie. La Sainte Cène pourrait être mieux travaillée par les réformés en tant que moment de rencontre entre Dieu, le monde créé et l’humanité qui en fait partie. La fin (bénédiction – envoi) met l’accent dans les prières et paroles sur la justice, l’envoi dans le monde de chrétiens qui doivent œuvrer pour la justice et pourrait inclure l’écologie.

 


Notes de J. Maupas (attention, elles sont faillibles : il est possible que j’ai approximativement retranscrit un propos ou une expression)

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