Église verte

Ce colloque est né de la volonté de Danièle Ribier, ancienne présidente des Fraternités Charles de Foucauld, de continuer la réflexion sur l’encyclique. Connaissant bien Anne Doutriaux, du mouvement Laudato Si’ (responsable France), c’est tout naturellement qu’elles ont organisé ce colloque ensemble, en y associant le diocèse de Corbeil-Evry via son service Écologie & Solidarités, Église verte et le lieu d’accueil, la maison franciscaine de la Clarté-Dieu, à Orsay dans l’Essonne.

Une centaine de personnes y ont participé : des membres des fraternités Charles de Foucauld, des animateurs paroissiaux Église verte, des animateurs Laudato Si’, des diocésains… Retrouvez dans cet article la seconde partie des interventions, la première partie se trouve ici.

 

Comment la spiritualité de Charles de Foucauld (1858-1916) éclaire-t-elle cette conversion écologique ? Thierry Magnin, Président Recteur délégué de l’Université catholique de Lille

Charles de Foucauld a été élevé dans la foi chrétienne, puis il perd ses parents, perd la foi. Il s’engage comme militaire et vit une vie « mondaine », mais perçoit un manque fondamental au milieu de sa dispersion, du divertissement. Il rentre dans l’église St Augustin à Paris, rencontre l’abbé Huvelin qui va devenir son accompagnateur spirituel. C’est le début d’une conversion forte, d’une rencontre avec le Christ. Il passe d’un extrême à l’autre et se retire en ermite à ND des Neiges en Ardèche, va en Syrie pour poursuivre sa vie ascétique. Il se rend finalement au Maghreb, il connaît bien le Maroc de ses précédentes expéditions de géographe. En Algérie, il pense convertir les musulmans : il a les réflexes de son temps et de sa culture ! Il ne va en convertir aucun mais va apprendre à partager la vie des Touaregs. Charles de Foucauld va vivre une dépossession progressive de son savoir, de sa volonté d’évangélisateur… Sa célèbre prière d’abandon va au-delà de nos possibilités humaines !

Charles de Foucauld dans Laudato Si’

LS 125 : « le travail humain est lié à la Création, […] comme nous pouvons le voir dans la vie du bienheureux Charles de Foucauld ». Dans sa spiritualité, le travailleur Jésus dans l’atelier du charpentier Joseph, sa vie cachée pendant 30 ans à Nazareth est un lieu d’apprentissage sur le sens du travail. Benoît XVI évoque également cette « trouvaille » de Charles de Foucauld, qui marche dans les traces des mystères de la vie cachée de Jésus et a rencontré le véritable Jésus historique. Nazareth est un message pour l’Église :  le travail au service de la conversion écologique, au service du frère.

Charles de Foucauld dans Fratelli Tutti

Le propos de cette encyclique est « comment construire le nous ». Charles de Foucauld y apparaît dans les deux derniers paragraphes (286 et 287) en tant que représentant de la fraternité universelle. La pensée du Pape est stimulée par Foucauld, frère universel, qui s’identifie avec les derniers, les abandonnés et reconnaît nos vulnérabilités de frère à frère.

Le Christ pauvre et serviteur s’incarne en Charles de Foucauld :

  • Il faut être pauvre pour vivre contemplation et gratitude. Foucauld invitait à la gratitude envers dons de Dieu.
  • Pour recevoir la création comme un don manifestant la présence de Dieu, les expériences de « désert » peuvent nous aider : on peut le vivre y compris chez soi.
  • Concernant la simplicité de vie, nous ne sommes pas obligés de devenir ascétiques, mais la dépossession matérielle de Charles de Foucauld nous invite à découvrir nos limites. Il s’agit de ne plus voir la frustration de ses envies comme une punition mais d’aller au-delà.
  • Vivre la fraternité universelle : voir en chaque personne un être infiniment aimé de Dieu change notre façon d’être en relation avec elle.
  • Foucauld nous lègue l’engagement auprès des plus vulnérables. « Se montrer proche, c’est devenir ami » (FT) : il s’agit de rentrer en contact, de vivre un apostolat de la bonté.
  • Enfin, souvenons-nous que la soif de richesse et pouvoir a animé Charles de Foucauld à certains moments de sa vie et qu’il en est revenu !

Quel sens donnons-nous au fait de vivre sobrement ? Michel Sauquet

La sobriété est passée de gros mot à mot-clé présent dans tous les programmes politiques. Cependant nous continuons de trop avoir, trop dépendre : comment en sortir ? Michel a fait un tour d’horizon des pratiques mises en place par les laïcs franciscains sur l’écologie (en France, environ 3 000 personnes sont membres des fraternités franciscaines séculières). Il a identifié 4 postures :

  • Le détachement par rapport à l’argent et la consommation

Saint François d’Assise considérait l’argent comme ordure, poussière et interdisait aux frères de posséder. François est libéré de l’instinct de propriétaire, il est uniquement gestionnaire, partage les biens. Ce détachement franciscain se retrouve dans la formule d’André Gide, « « tout ce que tu ne sais pas donner te possède ».

La règle de François comporte cet ordre « que tous les frères soient vêtus de vêtements vils, mais ne jugent pas ceux qui vivent dans le luxe, mais eux-mêmes ». Aujourd’hui, il faut pratiquer une réévaluation de ses besoins, un changement de ses habitudes, suivre Jacques Ellul, dans son concept de non-puissance : ça n’est pas parce que je peux me permettre quelque chose que je dois le faire. Nous pouvons parler de savoir d’achat ou pouvoir de vivre plutôt que pouvoir d’achat, examiner nos envies pour voir si ce sont des besoins ou des caprices, en ayant le désir de s’affranchir des messages lourds qui incitent à la consommation. « Vivre simplement pour que simplement d’autres puissent vivre. » Certaines familles sont poussées par leurs enfants ou petits-enfants à changer.

  • Le détachement par rapport à l’égo et au statut social

L’admonition n°14 de François dit en substance « ceux qui sont férus d’office et de mortifications mais pleurent quand on leur retire un objet n’ont pas vraiment l’esprit de pauvreté ». On constate aujourd’hui que certaines personnes hautement diplômées consacrent leur carrière à des postes dans le social etc, qui rapportent peu et les rendent heureux. Cela correspond à une posture de « minorité », faire la volonté de Dieu sans s’attendre à aucune récompense.

  • La redécouverte de la fraternité comme chemin

Aller vers les périphéries, poser des gestes fraternels qui donnent lieu à une rencontre est tout à fait dans l’esprit franciscain. On peut penser à ce sujet à la rencontre de François et du sultan : ils repartent enrichis du contact avec l’autre mais sans que chacun renonce à sa foi.

  • Réapprendre l’émerveillement face à la Création

François était un homme perpétuellement émerveillé. A sa suite, sortons du pragmatisme utilitariste (LS 215), en nous départissant de tout cynisme.

Qu’est-ce que les pauvres ont à nous dire sur l’écologie ? Où sont les vrais enjeux ? Florence Gheorghin, alliée à ATD-Quart Monde

ATD Quart monde est un mouvement né en 1957 dans un bidonville de Noisy-le-Grand (banlieue est parisienne). Le père Joseph Wresinski, ayant vécu lui-même la pauvreté (sa petite sœur est morte de faim), est nommé là par son évêque. Il rencontre Geneviève de Gaulle-Anthonioz et vont travailler ensemble pour faire reconnaître la misère comme un déni des droits de l’homme. Ils organisent le mouvement avec les membres du quart-monde, sont rejoints par des étudiants, des volontaires, des alliés (vigies de ne pas oublier les pauvres dans leurs lieux d’action respectifs). ATD fait du plaidoyer politique, par exemple pour la loi de 1998 de lutte contre les exclusions. La question qui les anime est : comment ce qu’on fait avec les plus oubliés permet de construire un monde convivial qui profite à tout le monde ? La pauvreté rend la rencontre difficile, produit des façons de se comporter, de parler…

Le père Wresinski remarque dans le bidonville le caractère primordial de la culture. Il met en place jardin d’enfants, bibliothèque, université populaire, pour que les gens aient un lieu pour exprimer leur parole. Une militante quart monde exprime le bien que lui font les ateliers culturels et artistiques, qui empêchent de ressentir le besoin de consommer (lors de discussions autour des 4 scénarios de transition 2050 de l’Ademe). La grande pauvreté compromet les chances de reconquérir ses droits par soi-même. L’INSEE a élaboré un indicateur de privation matérielle et sociale. En 2021, 10% des Français en souffrent. Cet indicateur comporte 13 items/questions, si les personnes répondent par la négative à 5 items, ils en souffrent (ne pas pouvoir retrouver amis et familles 1/mois pour boire un verre, chauffer son logement, partir 1 semaine en vacances hors de son domicile… pour raisons financières).

La première politique pour sortir des gens de la pauvreté a été la croissance économique. Même en cas de croissance, ils restent les plus exposés aux nuisances. Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, nous dit : on a épuisé la terre et les hommes. Sous couvert de donner un peu plus de revenu aux pauvres dans certains pays, on épuise le peu qui reste des écosystèmes qui leur permettent de vivre.

Les membres d’ATD sont bien convaincus qu’il y a un lien entre ces deux formes d’épuisement et que les plus pauvres sont les premiers affectés. Un département écologie a été créé, avec comme action notable l’organisation d’ateliers où des personnes très pauvres réagissent à des propositions de groupes écologistes. Quelques enseignements :

  • Les personnes les plus pauvres ont quelque chose à nous dire. Il existe aussi un parallèle entre la résilience de la terre et des hommes.
  • Les plus pauvres ont découvert qu’ils « polluaient » moins que les autres. On dit souvent que les pauvres ne mangent pas bien, qu’ils ont de vieilles voitures polluantes… Ils ont découvert aussi qu’ils souffraient le plus et que les politiques publiques sur les questions écologiques ne les prenaient pas bien en compte. Les aides à la rénovation énergétique par ex, car le reste à payer pour les travaux est trop élevé pour quelqu’un qui n’a rien. Ils se sont rendu compte qu’ils étaient limités dans leur pouvoir d’agir. Ils sont éloignés des mouvements écologiques : lors d’une rencontre entre militants Alternatiba & ATD, une militante quart monde déclare « même si personne ne nous dit vous êtes bêtes, on sent qu’on n’a pas le niveau ». Ils expriment le sentiment d’avoir peu de contrôle sur leur vie, d’être sous « tutelle de la société ».
  • Les pauvres sont à la recherche de solutions, extraits choisis : retrouver une relation personnelle avec la terre, raconter des récits de ce qu’on « gagne » en changeant nos façons de produire, recevoir des primes pour sa faible empreinte écologique.

En conclusion, il est possible de se libérer d’une culture de domination si les privilégiés se laissent bousculer par les plus pauvres (Bruno Tardieu).

Être chrétien et militant – Table ronde

Introduction biblique par Corinne Bitaud : Amos 5, 21-24, versets du Temps pour la Création 2023.

Amos, l’empêcheur de célébrer en rond

Le culte du veau d’or, le sacrifice de bêtes grasses indiquent qu’on peut se payer les bonnes grâces de Dieu par des œuvres humaines coûteuses inaccessibles aux plus pauvres (le clergé de l’époque est également corrompu, le culte est donc rendu au profit des hommes et non de Dieu). Amos dénonce donc cette hypocrisie, c’est un point commun aux prophètes de l’Ancien Testament de dénoncer des pratiques, avec un accueil indifférent ou hostile. Amos de plus vient de Juda, c’est un étranger en Israël. Amos souhaite la justice et le droit, en d’autres passages il dénonce les crimes de guerre, l’exploitation ou l’indifférence vis-à-vis des pauvres. La société dans laquelle Amos prophétise est une société dans laquelle se sont installées des inégalités fortes entre la classe dirigeante et les paysans, notamment grâce à leurs techniques de gestion très perfectionnées, qui annulent l’entraide première dans la foi et la loi d’Israël.

Quelle leçon pour l’Église du Christ aujourd’hui ?

Notre pratique religieuse pourrait elle aussi se travestir en ritualisme et devenir insupportable à Dieu : il nous faut pratiquer en premier le droit et la justice, première forme de culte. Sinon, notre culte est superficiel et hypocrite. Et comment faire couler ce droit et cette justice ? L’engagement diaconal, l’engagement pour la justice climatique, étendre la notion de prochain sont quelques pistes.

Témoignage de Marie-Hélène Lafage (Altercathos, le café Simone à Lyon, consultante en transition écologique) :

« Laudato Si’ a donné une unité à ma vie et mes engagements, je me suis sentie rejointe dans mes préoccupations. Je m’engage dans Le Simone, projet créé par groupe Les AlterCathos, qui organisait au début des conférences puis a souhaité avoir un lieu (café+espace de travail partagé). Ce que m’a appris ce lieu, c’est la force du laïcat : ne pas attendre que l’institution Église agisse. La DSE est au cœur du Simone et en creusant ce sujet, on découvre de nombreux chrétiens qui ont agi sans attendre l’institution (et en obtenant une reconnaissance tardive de sa part). Créer le café était un moyen de ne pas subir le « syndrome conférence » et de vraiment passer à l’action. Le café tire son Inspiration de Simone Weil, qui a travaillé comme ouvrière ET écrit sur le travail, a combattu le fascisme en Espagne… Ce que j’ai appris de ça, c’est que chacun peut être prophète à sa manière. J’essaie de vivre la conversion écologique à laquelle nous appelle LS avec d’autres et à ma manière (j’aime être l’empêcheuse de tourner en rond des politiques publiques de la ville par exemple, je me suis engagée contre les écrans vidéo-publicitaires en allant interpeller des élus sur ce sujet). «

Témoignage de Gabrielle Pollet (Responsable de la transition écologique, Compagnie de Jésus France-Belgique) :

« J’ai toujours ressenti le besoin de faire quelque chose d’utile, j’ai reçu une éducation écologique (mon père nous faisait observer les oiseaux, les tritons, les plantes, retourner les pierres…). J’ai toujours eu besoin d’une unité dans la vie pro et perso, la séparation des deux ne me parle pas. J’ai été recrutée à la province Europe Occidentale Francophone des Jésuites suite à l’adoption de leurs Préférences Apostoliques Universelles (axes de mission) au niveau mondial, dont « travailler avec d’autres à la sauvegarde de la maison commune ». Le conseil a nommé un délégué du provincial, Xavier de Bénazé et m’a recrutée. Toutes les communautés jésuites ont réalisé leur bilan carbone (grâce à nos gestes climat), ce qui donne des pistes d’action : changer chauffage au fuel, former les cuisiniers de restauration collective aux menus végétariens… Je rédige également des fiches EcoJesuit sur de nombreux sujets écologiques. Concernant le fait de porter une voix prophétique, je me sens seule dans mon groupe d’amis, parfois incomprise dans ces choix écologiques (train vs voiture), mais petit à petit je parle plus de ces sujets avec mes amis et les fais progressivement changer.

Témoignage d’Emma Beaudoin (Secrétaire nationale du MRJC) :

La foi et l’action sont souvent liés, c’est l’action qui nourrit ma foi et me permet de garder l’espérance (ex : pour ma confirmation, j’ai écrit une lettre à l’évêque, expliquant que si je n’étais pas au MRJC, j’aurais perdu la foi). Les mouvements d’action catholique ont toujours lié foi et action, ils sont nés à fin XIXème siècle. Le MRJC donne le courage de prendre la parole en tant que jeunes dans des cercles plus vieux, de se sentir légitime.

Se montrer solidaire des communautés qui portent une part injuste du fardeau de la crise écologique

Martin Julienne, étudiant au Centre Sèvres, membre du collectif « Lutte et contemplation » : les impacts du projet EACOP

Ce collectif est un espace de prière, de fraternité et de mobilisation (plaidoyer politique, économique, ecclésial et actions – en propre ou relayer/prendre part à celui d’autres mouvements). Tout a commencé avec la mobilisation contre le projet Tilanga/EACOP (East African Crude Oil Pipeline) de Total Energies, associé à d’autres compagnies : 400 puits de pétrole au sud du lac Albert (Ouganda), acheminé par oléoduc chauffé sur 1 440km de long, passant à côté du lac Victoria jusqu’à la côte tanzanienne, pétrole qui sera ensuite envoyé principalement en Asie.

Quelles injustices ?

  • Locale : 100 000 personnes ont été/seront déplacées pour les forages et l’oléoduc, avec une faible compensation, souvent versée en retard (certaines n’ont pas été versées). Les projets pétroliers ne contribuent pas au développement local, cela déstructure souvent le tissu social (cf. études de Cécile Renouard), avec une répression locale des opposants au projet.
  • Climatique : certains pays tropicaux pourraient devenir inhabitables à cause de températures trop chaudes et humides pour la régulation de la température du corps humain, selon un scénario d’émissions de gaz à effet de serre « business as usual ». 50% les plus pauvres émettent 10% des émissions de GES mondiales (10% des plus riches émettent 50%…). Pour respecter l’accord Paris (1.5 /2°C), laisser pétrole dans sol, l’Agence Internationale de l’Energie est claire : plus aucun nouveau projet fossile ne doit être lancé.
  • Biodiversité : de multiples infrastructures seront construites en pleine brousse, là où de nombreux animaux sauvages vivent.

Comment agir pour ces populations ? En tant que chrétiens, il est impossible de se contenter de lutter contre les conséquences des systèmes injustes (ex : charité et éco-gestes, nécessaires mais insuffisants). Il faut s’attaquer à la racine des problèmes : consumérisme, recherche du profit, concentration de la richesse et du pouvoir, privatisation de certaines sphères de la vie. Cela exige un positionnement politique, de la part de chrétiens particulièrement, car les textes bibliques nous invitent à nous élever contre les injustices, à soutenir le rapport de force au côté des opprimés. D’un point de vue stratégique, l’église peut jouer un rôle particulier en raison de son ancrage territorial et international unique, car la lutte contre les crises écologiques et sociales se joue à ses deux échelles. Le peuple de Dieu peut interpeller des responsables au nom de la foi, de choix moraux.

Le collectif pratique par exemple la méthode des cercles de silence (devant la tour Total à La Défense), reprise des Franciscains (créée à Toulouse lors de la lutte contre un centre de rétention pour exilés). Martin s’est engagé, pour louer Dieu mais il lui abandonne les fruits de son travail, sans être obnubilé par réussir l’action, ce qui permet de ne pas éprouver de colère. Il a osé s’engager car cela s’est fait à plusieurs, le collectif donne le courage de la radicalité.

Joëlle Staquet, petite sœur de l’Évangile : présence auprès des migrants

Joëlle vit en partie à Calais, dans une communauté « de l’instant présent », qui permet aux migrants de souffler et de reprendre leur route. Ce projet est né d’une réflexion de la communauté sur le partage de vie, de travail (avec les laïcs), qui a continué sur les migrants, un public particulier qui n’a pas de logement, un travail informel : comment faire ?

Joëlle a passé 9 mois à la maison Maria Skobtsova (liée à Taizé également), puis s’y rend maintenant régulièrement pour y aider les volontaires. Les exilés s’y retrouvent souvent suite à échec de leur première implantation dans un autre pays (Allemagne, Norvège)… Les autorités pratiquent une politique de non-fixation : arracher les tentes et détruire les affaires personnelles tous les deux jours. On ne s’habitue pas à la violence policière, aux gestes d’humiliation (couper les lacets des chaussures pour qu’ils ne puissent plus marcher par exemple). On déplore plusieurs morts par semaine à Calais. Le réseau associatif de soutien aux migrants est très dense. La maison Maria Skobtsova accueille surtout femmes et enfants, qui ont envie de passer en Angleterre. Le numéro d’hébergement d’urgence 115 est saturé. Depuis sa création, la maison a accueilli 2663 nuitées : 86 adultes et 36 enfants. Les personnes y sont en sécurité, c’est un lieu aimant. La seule condition est de manger ensemble le soir. Les gens tentent de passer, peuvent revenir dans la nuit car la tentative n’a pas marché (ou réussir). Il y a eu 24 volontaires de 11 nationalités en 2022. La maison apporte son soutien à la dimension spirituelle, par exemple en contribuant à l’organisation de fêtes pour Pâques ou Noël pour la communauté érythréenne notamment.

Vivre dans l’espérance : témoignage à deux voix

Marie-Hélène Lafage

C’est une question difficile : les chrétiens devraient mieux faire que les autres, car ils ont la foi, avoir une recette toute faite ! Pour Charles Péguy, l’espérance tire par la main ses petites sœurs, la foi et la charité. L’Eglise parle de grâce en parlant d’espérance : il s’agit de mettre sa confiance en la promesse du Christ et dans la grâce du Saint Esprit (selon le catéchisme de l’Église catholique). Pour Vaclav Havel, l’espérance est un phénomène existentiel qui n’a rien à voir avec façon d’appréhender l’avenir. C’est donc une forme de dépassement, mais dépasser quoi ? Se protéger des mauvaises nouvelles ? Non, nous avons besoin de lucidité sur l’état de notre maison commune. Il s’agit d’affronter nos biais cognitifs, nos dissonances cognitives. Albert Moukheiber, psychologue, nous pose la question : devons-nous réparer le sujet qui souffre ou le contexte qui cause l’anxiété ?

Un premier chemin possible : retrouver du pouvoir d’agir, car l’anxiété vient du sentiment d’impuissance. Il s’agit de mettre les responsabilités au bon endroit, agir collectivement pour transformer son environnement proche est un bon niveau pour cela (espaces intermédiaires entre l’individuel et le politique national). Dieu ne nous abandonne jamais dans son projet d’amour, à chaque instant il se donne dans la Création : il faut être capable de voir Dieu avec ce regard-là et de ne pas uniquement contempler les « dégradations ». On cherche une forme d’efficacité et de maîtrise mais il y a aussi besoin de s’abandonner, d’être présent.

Anne Doutriaux, responsable France du Mouvement Laudato Si’ (catéchiste & ingénieure de formation)

« Une première chose que j’ai appris de mes collègues de la pastorale des funérailles : on ne parle jamais de la mort sans parler de résurrection, on doit donc parler de crise climatique en parlant d’espérance, pour dire qu’on sait que la vie est plus forte que la mort, que certaines choses ne peuvent pas mourir. L’encyclique Laudato Si’ invite à prendre une douloureuse conscience, donc à se laisser toucher personnellement, à accepter que ce soit inconfortable. »

Anne a fait l’expérience pendant les confinements : elle souhaitait proposer une activité par semaine de catéchisme à faire à la maison, elle n’avait pas de programme, ne savait pas quoi proposer la semaine suivante et a toujours eu l’idée au bon moment. Dieu pourvoit la manne, même quand l’avenir n’est pas prévisible ! L’histoire des disciples dans la barque qui rament avec vent contraire et voit un fantôme arriver, qui se révèle être Jésus, nous enseigne qu’il suffit de ramer encore un peu ! Il est nécessaire d’incarner l’espérance pour que d’autres la reçoivent, d’avoir une attitude pas écrasée par la situation (« soyez toujours prêts à rendre compte de votre espérance »). Nous avons besoin de vivre dès maintenant la vie du monde d’après, pas que des beaux discours. Alexandre Masson, jésuite en formation au Châtelard, évoque le besoin de « lieux résurrectionnels » où on se sent revivre.

Retrouvez la première moitié des interventions dans notre précédent article.


Notes prises par J. Maupas (elles peuvent être faillibles)

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